Trouble-fête, méchant trouble-fête.... [feat. Pino Veritas]

         
Ce n’était pas vraiment courant comme situation : ordinairement, Cyril Marsh ne fréquentait que très peu la salle de détente au deuxième étage de l’école. Pas spécialement parce qu’il n’aimait pas l’ambiance, ni même parce que le bruit qui y régnait souvent l’indisposait ; il évitait en général cette pièce bondée pour la seule raison que des gens risquaient de lui parler. Et il n’aimait pas vraiment ça. L’idée de devoir tenir une conversation, même infime, avec quelqu’un qu’il ne connaissait pas l’agaçait et l’effrayait un peu.

- Pathétique, commenta le Danseur dans son dos.

Il ne prit même pas la peine de se retourner. Il savait que le Danseur n’existait que dans son imagination.
Pourtant, depuis peu, la salle semblait déserte. Les élèves n’y venaient plus. Ce jour-là d’ailleurs, très peu de monde l’occupait et, au moment où il passa devant après un cours ennuyeux, alors qu’il se dirigeait vers sa chambre, il n’entendit pas le brouhaha émanant ordinairement de la pièce. Il entra, peu sûr de lui, dans la salle silencieuse.

Quelques personnes seulement l’occupaient, chacun était isolé dans son petit coin. Il fit quelques pas silencieux vers un fauteuil vacant dans un angle de la pièce et s’y installa en jetant alentour de petits coups d’œil anxieux.

Puis il se demanda pourquoi il était venu.
Il tira de son sac son baladeur et ses écouteurs, et les fourra dans ses oreilles et monta le volume de la musique au maximum. Il aurait très bien pu écouter de la musique dans sa chambre, pensa-t-il. Pas besoin d’aller se mêler aux autres pour trouver un peu de calme. Sinon, autant aller à la bibliothèque. Ou dans les sous-sols. Il cessa pourtant peu à peu de jeter des regards tout autour de lui pour se concentrer sur la musique et sombrer petit à petit dans un demi-sommeil confortable et moelleux. Le fauteuil était agréablement doux dans son dos. Il sentait bon, aussi. Cyril ferma à moitié les yeux et s’avachit légèrement, laissant sa tête reposer contre le dossier.

   
   Pinocchio avançait silencieusement dans les couloirs, les sourcils froncés. Des livres de cours sous le bras, une main dans la poche. Ses doigts jouaient avec un canif, discrètement, l'ouvrant et le refermant avec l'habitude.

Sur son visage, rien ne transparaissait. L'ennui incarné, comme toujours. Un masque glacé sur un cœur de pierre. À trois pieds de là, Ace lui rabattait les oreilles sur un sujet quelconque babillant d'un naturel époustouflant. Au moins, il savait sur qui se calquer lorsqu'il avait besoin d'un évaporé amoureux de la vie et des petites fleurs.

Heureusement, il ne le suivit par jusqu'au bout, se faisant alpaguer par un professeur qui avait à redire sur son dernier devoir. Eh bien ! Au moins, il retrouvait la paix à laquelle il aspirait.

Et Ace avait la vie sauve. Encore.

Bon, et maintenant ? Où aller, que faire ?

Retourner au dortoir ? Malheureusement, les abrutis avec lesquels il le partageait étaient revenus de mission. Il avait déjà dû supporter Ace toute la journée (à peu de choses près), pas plus, merci.

Il pouvait aussi aller faire un tour à la bibliothèque, mais... La vieille chèvre restait insensible à son charme. La carne ! Et puis, si c'est pour retomber sur un(e) Fox, hein...

La salle de détente, allez... Hors de question de squatter une salle de classe vide, soit un professeur le vire, soit un couple un peu trop entreprenant lui fera un petit show privé. Pas que ça le dérangeait à proprement parler -il s'en foutait- mais c'est gênant pour la lecture, les couinements et le gémissement des meubles (ou l'inverse ?).

Pinocchio y avait pris ses habitudes, personne ne tentant de lui adresser la parole depuis la fois où il avait joué de ses charmes sur un Wolf qui tentait d'y faire sa loi. Et qui s'est retrouvé avec une plaie assez importante grâce à son arme du moment.

On avait dit « détente », merde à la fin ! Laissez-lui lire ses bouquins et complotez contre le monde entier, il est si mignon~

Ne jetant pas le moindre regard en direction des autres personnes présentes (pourquoi faire ? Il ne comptait pas leur adresser la parole), il alla s'installer à sa place habituelle, place que les autres avaient pris la coutume d'éviter. Sauf aujourd'hui, semblerait-il.

N'importe quelle fille aurait roucoulé devant un tel minois angélique. N'importe quel mec aurait grogné face à cet envahissement de territoire. N'importe quel élève de Sybil aurait réagi selon les habitudes de sa maison (un Wolf aurait déclenché une bagarre, un Fox lui ferait les poches, un Snake glisserait des claque-doigts dans ses vêtements).

Un éclat glacé traversa son regard ambré. Il s'approcha et se pencha, un sourire inquiétant sur ses lèvres. Son genou s'appuya sur l'assise, son dos se courba, son visage s'approcha de celui de sa (future) victime. Dans sa poche, son canif paraissait se faire un peu plus lourd.

Niark niark niark...
   (c) Codage by FreeSpirit

         
       Le fauteuil sentait vraiment bon. A la seconde où il sentit quelque chose s’enfoncer dans l’assise moelleuse du fauteuil, Cyril se maudit intérieurement pour deux choses. D’une part, parce que le fauteuil sentait si bon qu’il s’était endormi, et qu’il avait baissé sa garde. D’autre part parce que si le fauteuil avait cette odeur si caractéristique, ce n’était ne parce qu’il était propre ni parce que quelqu’un prenait la peine de l’assaisonner d’une giclée de parfum chaque matin, mais bien parce qu’il devait appartenir à quelqu’un  – ou du moins quelqu’un avait-il l’habitude de s’y asseoir dessus et revenait arracher les oreilles à l’imprudent qui s’était assis dessus. Pas de chance aujourd’hui, l’imprudent, c’était lui.

       D’un bond, il se mit sur ses jambes et arracha ses écouteurs d’un geste de la main pour entendre ce que le propriétaire autoproclamé dudit fauteuil devait avoir à lui reprocher. Puis, se rendant compte qu’il devait avoir l’air idiot, il fourra ses écouteurs dans sa poche en rougissant malgré lui de toutes ses joues.

       Le nouvel arrivant était plutôt beau garçon. Il avait l’air assez gentil en somme. Ses traits étaient agréables à l’œil et son sourire…son sourire était glacial. Ses yeux étaient terrifiants, aussi. Cyril se trouva un instant paralysé, conscient de devenir de plus en plus rouge. Il s’en voulut, alors, d’être rentré dans cette stupide salle, lui qui n’y allait jamais. Il n’était pas au courant des us et coutumes des gens bizarres qui l’habitaient en temps normal, et il était finalement impossible qu’il ne commette pas une faute dès le premier pas dans la salle. Plus il y réfléchissait, plus il s’en voulait mortellement.

- Crétin, fit le Danseur.

       Il n’y prêta pas attention. Il était déjà suffisamment dans de beaux draps pour passer en plus pour un idiot auprès du Raven qui se tenait devant lui.

       A contrecœur, Cyril se força à regarder le possible propriétaire du fauteuil dans les yeux en essayant de paraître le moins défiant possible. Il se demandait pourquoi il avait aussi peur. En temps normal, il aurait gratifié son potentiel agresseur d’un regard vide, sans même enlever ses écouteurs, et il se serait levé pour quitter la salle de détente et ne plus jamais y remettre les pieds. En temps normal, il n’aurait pas ouvert la bouche. En temps normal, il ne se serait pas excusé. Il ne savait même pas ce que lui voulait ce garçon, au fond. En temps normal, il n’aurait même pas réfléchi à ce genre de problème, puisqu’il se serait trouvé dans sa chambre. Bon sang, qu’est-ce qu’il lui avait pris, soudain, de faire une chose pareille ? Il s’efforça de paraître désolé du mieux qu’il pût.

- Pardon, murmura-t-il du bout des lèvres en regardant le Raven.

   
   « Pardon » ? Un peu facile, tiens. Si Pinocchio épargnait tout ceux qui l'imploraient et se répandaient en excuses, il ferait un bien piètre tueur.

Bon, après, il n'était pas en mission et s'entre-tuer entre les murs de Saint-Leigh, c'était la pire idée qu'il soit. Au même titre que faire une excursion dans les chambres des filles et de faire une guirlande de sous-vêtements dans le réfectoire. Heureusement qu'il avait réussi à échapper à Ace qui avait tenté de l'y enrôler.

On pouvait être vide de l'intérieur et avoir un minimum instinct de survie. Enfin, niveau instinct de survie, lui...

Autour d'eux, personne n'avait effectué le moindre geste. Était-ce par habitude de ne pas s'occuper des affaires des autres ou n'en avaient-ils juste rien à faire ? Qu'importe, l'essentiel était que nul ne vienne interférer.

Ace serait là, il tenterait peut-être de le raisonner, de lui rappeler que ce n'était qu'un fauteuil, qu'il y en avait plein la salle... Ou peut-être qu'en Wolf qui se respecte, il l'encouragerait à grands renforts de viva. Allez savoir avec lui.

Se redressant, Pino reprit son habituel masque froid, comme s'il s'en moquait. Techniquement, c'était le cas. Il y avait bien d'autres sièges disponibles dans cette pièce. Il avait juste la flemme d'utiliser ses capacités pour terroriser ce... ce... Mais de quelle maison pouvait-il bien provenir ?

Bref.

Le sang, ça tâchait, la mort, ça faisait des papiers à remplir.

D'un autre côté, venir l'agresser et le déranger, puis faire comme si de rien n'était... C'était un coup à ce qu'on chuchote qu'il était en train de se ramollir. Pas bon, ça, si ça revenait aux oreilles de leurs supérieurs. Il était pleinement en possession de ses moyens, merci bien.

Dans sa poche, le canif était toujours là, tentant. Prendra ? Prendra pas ?

Ses livres abandonnés au sol depuis tout à l'heure paraissaient lui rappeler la raison de sa présence.

- La salle de détente est pour tout le monde. Mais personne n'aime devoir faire des concessions avec ses habitudes.

Bon, maintenant, qu'allait-il faire ? Reprendre sa place ou s'installer ailleurs ? Il pouvait aussi repartir dans son dortoir... Non, il allait se prendre la tête... Enfin, on allait lui prendre la tête au sujet de malheureuses armes dérobées sans l'avis du propriétaire.

Z'avez qu'à ranger vos affaires, pauvres simples d'esprits.
   (c) Codage by FreeSpirit

         


Les paroles avaient résonné dans la bouche du jeune homme avec un accent perfide. Cyril se tendit légèrement, serrant les poings. Il ne craignait pas particulièrement le Raven. Il savait que, si le ton montait un peu trop, il pouvait mettre le jeune homme à terre sans souci. Enfin, il savait…il se doutait qu’il pouvait le faire. Son potentiel adversaire était grand. Il n’avait pas l’air particulièrement fort, mais il avait appris au fur et à mesure des raclées prises à gauche et à droite à se méfier de l’air frêle et angélique des jeunes comme lui.

Cyril reprit progressivement contenance. Il sentit le sang qui lui avait rougi les joues et le front refluer peu à peu. Ses yeux adoptèrent leur habituel regard vide. Il n’arrivait cependant pas à calmer le tumulte qui l’agitait intérieurement. La remarque du Raven était-elle sarcastique, fielleuse, et induisait-elle une mise en garde ? Ou bien était-il sincère, et Cyril pouvait-il conserver le siège ?

A dire la vérité, il ne voulait pas vraiment quitter le siège. Cela pouvait sembler idiot, mais il aimait vraiment beaucoup l’odeur du siège, et il ne voulait pas vraiment céder sa place à ce grand échalas de Raven à l’air fourbe. Il se demanda soudain si l’odeur du fauteuil était bien celle du jeune homme qui lui faisait face. Troublé, il préféra ne pas penser plus à cette idée. Il s’efforça de conserver son air sérieux et vide et rentra la tête dans les épaules.

- Je vais pas t’embêter plus, dit Cyril d’une voix assurée.

Du moins voulut-il le dire. Les mots qui sortirent de sa bouche n’avaient absolument aucun rapport avec ceux qu’il avait pensé. Il avait fait une erreur. Il n’avait pas dit ce qu’il voulait dire. Il avait laissé échapper à voix haute ce qu’il pensait. Le Danseur eut un petit éclat de rire sec en l’entendant chuinter d’une petite voix à l’attention du Raven qui le fixait :

- Je peux rester sur le fauteuil ?

   
   … Rester... sur le fauteuil...

Non.

Rester sur son fauteuil. À lui. Mais c'est qu'il s'y croyait, l'animal !

Et lui ? Il pouvait s'asseoir où, Majesté ?

Bon, il exagérait, évidemment, ce n'était pas les sièges qui manquaient dans la salle de détente. C'est juste que ça le gonflait de devoir aller chercher ailleurs.

Soupirant exagérément -on est drama queen ou on ne l'est pas- il se laissa tomber sur le fauteuil juste à côté, croisant les bras et prenant un air boudeur.

Il avait la flemme, okay ? Il se battra un autre jour, une autre nuit, une autre fois. En plus, il avait des livres à lire. À presque un mètre de lui.

E merda.

Bon, tant pis, une sieste, c'était bien, aussi.

Grimaçant, il croisa les bras et les jambes, détournant la tête de son précédent interlocuteur.

C'était parfois difficile de tenir un masque pour des raisons vaines. Et une « dispute » au sujet de quelque chose d'aussi futile que la possession -ou non- d'un simple fauteuil, c'était vain. Pas de raison particulière pour mettre en place un de ses nombreux masques. Ou de sortir l'artillerie. Et encore moins d'user de ses habituels atouts.

Là, hors de sa porté, ses livres paraissaient l'appeler.

« Viens nous lire, viiiiiiens »

Flemme.
   (c) Codage by FreeSpirit